Dans l’œil du zircon

Un nouveau fléau menace la Casamance. Jusque là épargnée par cette industrie qui grignote peu à peu le littoral ouest-africain, de concert avec l’érosion côtière, cette région du sud du Sénégal voit arriver les premiers camions transportant du matériel de forage, signe que les opérations minières sont imminentes.

Le secteur  visé se situe entre les villages d’Abene et Kabadio, non loin de la frontière gambienne, sur une dune qui longe la côte atlantique et protège les habitants, comme les cultures, de l’avancée inexorable de l’océan.

Le sable qu’elle contient est riche en zircon. Ce minerai, qui brille à la surface comme de petites paillettes d’or, est utilisé principalement dans l’industrie nucléaire, mais aussi la joaillerie et la céramique. Cette richesse intéresse des compagnies minières internationales, françaises, canadiennes, australiennes, chinoises qui se ruent sur la bande côtière du Sénégal en accumulant les profits, tout en faisant croire aux populations concernées qu’elles connaîtront ce développement et cette croissance économique tant espérés. Mais en règle générale, elles n’en récupèrent que des miettes, ou pire, des catastrophes écologiques et des conflits. Le pétrole du Nigeria, du Congo et de l’Angola, le scandale géologique de la RDC, les diamants du Sierra Leone, l’uranium du Niger, entre autres, rappellent à ceux qui ont la vue et la mémoire courtes, que ces trésors souterrains se transforment en Afrique, du fait des rapports de force économiques et géopolitiques asymétriques, en malédiction.

Dans le nord de la Casamance, un nouvel acteur est apparu ces trois dernières années. G-Sand une société gambienne totalement inconnue jusque là, détenue par des capitaux chinois, déboule dans le secteur et semble rafler la mise, là ou d’autres ont échoué, après deux décennies de résistance des populations.

Elle réalise une étude d’impact environnemental et social (EIES) en 15 jours, entre fin avril  et début mai 2023, se met dans la poche les chefs de village de Kabadio et Abene, ainsi que les autorités religieuses, aménage la route d’accès au site, achemine aujourd’hui du matériel, avant même d’avoir reçu un permis d’exploitation en bonne et due forme. Des propriétaires de rizières qui seront impactés ont déjà reçu une indemnisation. L’EIES est validée par le Ministère de l’Environnement sur le plan technique et environnemental. Mais, il reste encore la partie sociale à valider, et le temps presse, car l’élection présidentielle approche. Il faut que la procédure administrative soit terminée avant le changement de gouvernement. Après, nul ne sait ce qu’il adviendra des contrats miniers en cours.

Mais le volet social, c’est-à-dire l’acceptation des populations, c’est là où le bas blesse. Car un comité du non lutte depuis 2006 contre le projet d’exploitation de zircon sur ce littoral, et pour l’instant, il n’y a pas eu d’audience publique comme le prévoit la loi. Ou plutôt si, une tentative avortée début février, au cours de laquelle les opposants ont été empêchés de participer, ce qui a généré des tensions. Depuis, pro-zircon et opposants se font face dans un climat hostile. Chefs de villages et autorités religieuses organisent des journées de prière et mobilisent la population pour exposer tous les avantages qu’elles auront à accepter l’exploitation minière (une route, une mosquée, une église, un mur pour le cimetière, des panneaux solaires, une ambulance, un nouveau stade de foot, etc.). Les opposants, eux, sont contraints de se réunir dans des lieux privés, car ils se voient interdire les rassemblements sur la voie publique par la sous-préfecture de Diouloulou, et craignent les violences de jeunes exaltés.

L’absence de véritables procédures démocratiques et le poids de traditions autoritaires divise les populations, dans un climat déjà tendu par les reports de l’élection présidentielle, l’exclusion d’Ousmane Sonko de la course à la présidence, et la présence d’une rébellion indépendantiste, qui bien que fortement affaiblie après les derniers coups de boutoir de l’armée sénégalaise, n’a pas dit son dernier mot. Le projet d’extraction de zircon génère déjà une amorce de conflit. Il en est souvent ainsi dans ces eldorados des multinationales où la faiblesse des institutions, le contournement des règles, permettent d’acheter les consciences et dressent les populations les unes contre les autres.

Près de vingt ans de lutte

Pourtant la résistance des populations de Kabadio et d’Abene avait jusque là réussi à contenir la voracité du premier investisseur, intéressé par la dune de Niafrang, ce petit village faisant parti du territoire de Kabadio, le plus impacté par le projet minier.

En 2005, elles apprennent en effet par la préfecture qu’elles doivent arrêter toute construction sur la dune et que ses habitants doivent déguerpir. L’entreprise australienne Carnegie Minerals présente un permis d’exploration qui déjà, divise la population, car les habitants de Kabadio se rendent compte qu’elle fait travailler des jeunes d’Abene pour le carotage et pas les leurs. La compagnie minière accepte finalement de recruter dans les deux communautés.

Par la magie des rapprochements et des joint ventures, le détenteur du permis d’exploration devient Astron, une compagnie basée à Hong-Kong. Un comité de lutte se crée dès 2006, autour de quelques défenseurs de l’environnement, dont El Hadj Dabo, Tidiane Diagne, alors président de la jeunesse du Fogny Diabang, et Ousmane Niantho Sané, qui gère un campement touristique sur la dune. Avec les associations de la jeunesse des villages alentours, ils sillonnent les 44 villages de la communauté rurale de Kataba 1, et réussissent à sensibiliser des milliers de personnes.

Très vite, s’impliquent un certain nombre d’Européens vivant sur le littoral entre Kafoutine et la frontière gambienne, en parfaite symbiose avec la population. Contrairement à l’enclave néo-coloniale de Cap Skiring, plus au sud, ils sont pour la plupart très bien intégrés, souvent de milieux modestes, et composent avec les autres communautés mandingues, diolas, karones, et autres, une mosaïque multiculturelle harmonieuse. Mais leur présence, visible dans le comité de lutte, est dénoncée par la compagnie minière, et les autorités qui la soutiennent, comme une ingérence étrangère.

L’étude d’impact environnemental et social, obligatoire selon le code minier pour obtenir le permis d’exploitation,  est menée par un expert du nom d’Ibrahima Diaw, qui deviendra plus tard l’opérateur d’Astron au Sénégal. Comme d’habitude, l’expert est juge et partie puisqu’il est financé par l’entreprise. Il a beau jeu de dire que si les opposants veulent une étude indépendante, ils n’ont qu’à la financer. Mais avec quels moyens ? Plus tard une ONG du nom de Natural Justice tentera de faire une contre-expertise, mais ne pourra mener à bien son étude.

La compagnie Astron doit organiser une audience publique. C’est l’occasion pour le comité du non de mobiliser la population. C’est à ce moment là que l’association prend vraiment de l’ampleur. Elle réussi à convaincre les chefs de villages de la zone, les présidents des associations de jeunesse et réussit à produire un autre discours sur le développement de la région que celui de l’industrie minière. Ils décortiquent l’étude d’impact avec les villageois, qui comprennent alors que l’exploitation du zircon près de chez eux ne leur apportera rien de bon.

L’audience publique de 2011 est un échec pour Astron. Les opposants ont pris la parole, et démonté les arguments de la compagnie minière. Dans la foulée, ils organisent une marche de quelques 8000 personnes. L’ancien ministre de l’environnement Haïdar El Ali fait le déplacement. C’est même lui qui a financé la marche. Il faut dire que le projet minier risque d’avoir un impact sur l’aire marine protégée, qui s’étend jusqu’à 100 mètres à l’intérieur des terres.

Le comité du non a le vent en poupe. Ousmane Sané, en est devenu l’un des principaux porte-parole. Mais il n’y a pas de chef proprement dit et l’organisation reste très démocratique. Dans le comité exécutif, les européens restent très présents, ce qui continue d’alimenter les critiques.

Des experts et des scientifiques internationaux soutiennent le mouvement, et démontent points par points l’étude d’impact. Pour les scientifiques, les risques environnementaux ont été sous-évalués. La dune, déjà attaquée par l’érosion et des phénomènes climatiques de plus en plus violents, pourrait selon eux, se trouver encore plus fragilisée par les forages. Le pompage de l’eau de la nappe phréatique servant à séparer le sable du minerai pourrait entraîner une salinisation des rizières, conduisant à la disparition des ressources alimentaires de plusieurs milliers de personnes, obligée in fine de quitter leurs villages et d’émigrer. Ils lancent une pétition en ligne, intitulée « L’appel de la dune », signée par le principal opposant à Macky Sall, Ousmane Sonko, le collectif contestataire Y’en a marre, et l’influent intellectuel français Jacques Attali, qui possède une villa au Cap Skiring.

Le géologue Ibrahima Diaw ne s’attendait sans doute pas à une telle résistance. Peut-être une question de méthode. Très proche du Président Macky Sall dont il est un ancien promotionnaire (Macky Sall, géologue de formation, a dirigé la Société des Pétroles du Sénégal), il semble avoir négligé les notables locaux. Après l’audience publique, au cours de laquelle il avait promis quelques millions de francs CFA pour le développement de la commune, des routes et des salles de classe,  tous restent mobilisés contre ce projet. Les mallettes de billets, apparemment, ce n’est pas le genre de la maison mère, Astron, qui s’en tient à de vagues promesses. Pour les récalcitrants, il utilise un autre moyen : des propositions d’embauche dans le comité de pilotage. Ce n’est pas de la corruption, mais ça y ressemble. Moustapha Faty, membre du comité de lutte et juriste, spécialiste de droit public, est convoqué un jour de 2012 dans le bureau d’Ibrahima Diaw à Dakar. Celui-ci lui propose un salaire mensuel de 2 millions de CFA par mois (environ 3000E), pour rentrer dans son équipe. Une somme mirobolante. Le jeune militant a la présence d’esprit d’enregistrer la conversation et menace de porter plainte. L’affaire en reste là. Il n’est pas le seul à recevoir des offres de collaboration de la part du représentant d’Astron à Dakar. Un journaliste d’investigation sénégalais est approché pour signer une convention de partenariat et faire la communication du projet minier. Une pratique assez courante dans la presse sénégalaise toujours en quête de financements (1).

Malgré ces tentatives d’achat des consciences, le front de la résistance tient bon. Il faut dire que les autorités traditionnelles se sentent flouées. Pas opposées au zircon par principe, elles avaient fini par produire un mémorandum, dans lequel elles réclamaient, outre les promesses de l’audience publique, la possibilité d’utiliser les forages pour l’agriculture, et surtout, la transformation de Kabadio, simple village au sein de la commune de Kataba 1, en commune à part en entière. Mystérieusement, le document, passé par le filtre des autorités administratives n’a plus rien à voir avec l’original. Plus de commune, plus de route goudronnée, et des forages seulement disponibles une fois l’exploitation terminée cinq ans après. Désormais, les notables de Kabadio ne veulent plus entendre parler d’Astron, et Ibrahima Diaw est à leurs yeux un menteur.

Ailleurs, dans le nord du Sénégal, les compagnies minières ne rencontrent pas les mêmes difficultés. Grande Côte Opérations (GCO), une compagnie franco-australienne s’implante à Diogo et à Lompoul sans trop de résistance. Elle a réussi à convaincre quelques vieux notables d’accepter des forages sur les terres du village, moyennant des promesses d’infrastructures, d’emplois et d’indemnisations pour les familles déplacées, et l’engagement non écrit que les terres seraient restituées après les cinq années d’exploitation. Cheikh Fall, un écologiste de Diogo, considère aujourd’hui que les procédures légales de consultation des populations et d’étude d’impact n’ont pas été respectées.

L’ombre du MFDC

De 2017, date à laquelle la compagnie Astron a obtenu le permis d’exploitation à 2023, année où il expire, rien ne bouge sur la dune de Niafrang. Pour beaucoup d’observateurs sur place, cette inertie de la compagnie minière a d’autres causes que la résistance pacifique des populations locales, aussi héroïque soit elle. La Casamance fait face depuis 1982 à une rébellion indépendantiste, la plus ancienne du continent africain. Même si elle est très affaiblie, elle reste menaçante pour des opérateurs économiques qui ne veulent pas prendre de risques pour leurs investissements. En 2017, le chef historique du MFDC, Mamadou Nkrumah Sané, en exil en France, lance un avertissement : « Si le gouvernement sénégalais laisse la compagnie australienne démarrer l’exploitation, c’est une déclaration de guerre, les armes parleront » (2). Lorsque le patron d’Astron se rend sur le site, sur la dune de Niafrang, il est accompagné d’un déploiement de forces militaires impressionnant. Le vieux chef rebelle prend ça comme une provocation. « Nous n’allions pas nous attaquer au directeur d’Astron, mais lorsque les ouvriers et le matériel arriveront, à ce moment là, Atika (la branche armée du MFDC)  fera son travail. L’armée ne pourra pas protéger les installations dans la durée », déclare-t-il.

A l’époque, plusieurs groupes armés rivaux occupent des camps retranchés le long de la frontière gambienne. Le plus important et le plus ancien est celui de Diakaye, dirigé par Fatoma Coly, dont les combattants sont considérés comme démobilisés depuis les négociations de paix en Gambie de 1999, mais toujours armés. Plus loin vers l’est, le groupe de Salif Sadio est en négociation avec le gouvernement sénégalais. D’autres chefs rebelles sont actifs dans le secteur, Paul Aloukassine, et un dénommé Prince. Même peu nombreux et mal armés, ils gardent une capacité de nuisance. Le spécialiste du conflit casamançais Jean-Claude Marut n’exclut pas à l’époque des actions spectaculaires et parle de menace pour la paix (3).

Six ans plus tard, la situation militaire a changé en Casamance. L’armée sénégalaise a ratissé plusieurs bases de la rébellion, qui a perdu la bienveillance passive des gouvernements de Gambie et de Guinée Bissau, dirigés désormais par des amis du président Macky Sall. Le gouvernement sénégalais a signé le 4 août 2022 et le 13 mai 2023 des accords de désarmements avec deux factions rebelles, dont celle de Diakaye, proche de la zone d’exploitation du zircon. Même si ces accords n’ont pas grande signification, vu que les signataires sont des « généraux » sans troupes, ou déjà démobilisés, il n’est pas impossible que ce nouveau rapport de force défavorable à Atika, ait incité les autorités sénégalaises à donner leur feu vert à l’exploitation du zircon.

G-Sand entre en scène

C’est dans ce contexte d’épuisement de la lutte armée qu’un nouvel acteur entre dans le jeu, un certain Diaby, homme d’affaire gambien représentant les intérêts de la société chinoise G-Sand. En une année, il obtient ce qu’Astron n’a pas réussi à faire en quinze années de travail et d’investissements occultes. Même s’il ne s’intéresse pas au même périmètre, son secteur se situe plus au sud, près des premières habitations d’Abene, derrière l’hôtel abandonné des Kalissaye, il profite des études géologiques qui ont  été réalisées sur la dune par son prédécesseur. Et surtout, il arrive à retourner les chefs de village de Kabadio et d’Abene contre Astron qui craint alors de perdre son permis d’exploitation, faute d’avoir pu le mettre à exécution.

Les dessous de cette histoire décrivent un enchevêtrement de violence et de corruption, dans lesquelles sont plongées les populations victimes de ce capitalisme sauvage, avec la complicité des autorités locales. Cycle qui ne peut s’arrêter sans un changement de pratiques au plus haut niveau de l’Etat, et donc un changement de système. Les moyens employés relèvent à la fois de la propagande classique en faveur du développement : promesses de routes, de classes d’écoles, d’emplois, mais cette fois, avec des valises de billets en plus, et des cadeaux (voitures et motos), distribués à bon escient parmi les personnalités locales, traditionnelles et administratives. C’est ce que révèle le travail d’investigation du journaliste Pape Niantho Sané, qui détient une liste de trente personnes ayant bénéficié des largesses de ce fameux Diaby. Il tient ses informations de source policière, sur la base d’une enquête en cours. Elles sont exposées ici avec les précautions d’usage, car elles n’ont pas encore été recoupées.

Voici ce que raconte Pape Niantho Sané dans les médias sénégalais. L’intermédiaire gambien, déjà en affaire avec les chinois sur l’exploitation de zircon à Sanyang, dans son pays, serait entré en contact avec Ibrahima Diaw par l’intermédiaire du sous-préfet de Diouloulou. Il lui aurait fait comprendre qu’il était en famille avec le chef du village de Kabadio, Ousmane Malanfy Diabang, et qu’il avait les moyens de convaincre les notables locaux de retourner leur veste. Voyant dans la proposition du négociant gambien peu scrupuleux un moyen de débloquer la situation sans mouiller Astron, Ibrahima Diaw aurait accepté le deal : 150 millions de francs CFA à répartir parmi les autorités locales, depuis les chefs religieux locaux, en passant par les chefs de village, le sous-préfet, le responsable des mines et de l’environnement, jusqu’au gouverneur de Casamance. Pape Niantho Sané dit avoir les noms de 33 personnes, issus d’un procès verbal de gendarmerie, dans l’enquête sur les règlements de compte qui vont se produire inévitablement dans cette affaire d’escrocs.

Car les choses prennent une mauvaise tournure pour Ibrahima Diaw. Petit à petit, il se rend compte que son partenaire gambien roule pour G-Sand avec laquelle il est déjà en affaire. Diaw n’est pas d’accord. Mais à ce moment-là, Diaby a déjà bien arrosé les autorités locales, administratives et traditionnelles. Le chef du village de Kabadio, le président de la jeunesse, d’ex-opposants au zircon, deviennent soudain de fervents défenseurs, mais pas avec n’importe quel partenaire. Au cours d’une réunion de concertation organisée à la sous-préfecture pour débloquer la situation, ils produisent un mémorandum en faveur de G-Sand et contre Astron. Diaw se rend compte qu’il s’est fait doubler. C’est alors que des rebelles de la base de Diakaye entrent en scène.

Ces ex-combattants sont en lien avec le GRPC (le Groupe de Réflexion pour la Paix en Casamance) de Robert Sagna, le monsieur bons offices de la présidence sur le règlement du conflit casamançais. Ibrahima Diaw les aurait contactés, par l’intermédiaire d’un certain Idrissa Diedhiou, responsable de la jeunesse au niveau du département. C’est ce qu’ils raconteront par la suite aux enquêteurs. Que cherche le fondé de pouvoir d’Astron ? Intimider les notables de Kabadio, ou tout simplement s’informer sur ce qui se trame ? Toujours est-il que les deux rebelles se rendent à une réunion à huis clos au cours de laquelle les esprits s’échauffent. Le chef du village fait appeler la gendarmerie qui les arrête. Ils seront libérés assez rapidement, le temps de livrer leurs informations aux enquêteurs. Quelques mois plus tard, le chef du village tombe malencontreusement, chez un charbonnier peul, sur l’un des rebelles qu’il a fait arrêter. Il se prend deux balles dans le corps, une à l’épaule, et une autre à la jambe.

Mais les violences ne s’arrêtent pas là. Car le comité du non, au courant de l’arrivée d’un nouvel acteur dans la course, continue sa campagne contre le zircon. Il se trouve alors confronté au système de pouvoir traditionnel, instrumentalisé par les pouvoirs économiques et les autorités administratives, depuis le temps de la colonie. Dans ce village dirigé par quelques familles mandingues, les décisions importantes sont prises à huis clos, dans le secret du bois sacré. Les travaux d’intérêt général sont organisés selon le système traditionnel, appelé kaffoo, auquel tous les bras du village sont sommés de participer, sous peine de sanctions. Ce système peut très bien se transformer en pressions physiques et en coercition.

A Kabadio, le kaffoo a été perverti et utilisé pour intimider ceux qui s’opposent encore au zircon. Lorsque l’ONG Natural Justice arrive sur la dune pour réaliser une contre expertise en 2022, les gros bras du village arrivent pour casser le matériel. Le comité du non veut organiser un point de presse dans le village de Niafrang, les gars de Kabadio arrivent, menacent, et délogent les militants. Et lorsque les opposants veulent à nouveau organiser une réunion publique, la sous-préfecture le leur interdit au motif qu’il y a un risque de trouble à l’ordre public. Les intimidations se poursuivent au moment de l’audience publique sur le projet G-Sand, programmées le 6 février à Abene. Le comité du non est interdit d’entrée.

Comme des mendiants sur un tas de diamants

La population, dans son ensemble, est prise en otage par ces notables corrompus, et se tait, de peur de représailles. Pourtant, si elle était bien informée, elle saurait que dans les villages où l’exploitation du zircon est en cours, la vie est devenue un calvaire, et non ce Sénégal émergent qu’on leur avait promis.

A Lompoul, seul désert de sable du Sénégal, qui attirait des milliers de visiteurs chaque année, l’activité touristique périclite. A Diogo, les familles déplacées dans d’autres villages n’ont pas les moyens de creuser des puits pour arroser leurs champs. Les éleveurs de bétail n’ont plus d’espace pour faire paître leurs bêtes. Des conflits éclatent entre anciens habitants et nouveaux arrivants. Les forages souterrains n’ont pas trop d’impact sur le plan visuel, mais c’est en profondeur que les dégâts apparaissent. L’exploitation du zircon nécessite de grandes quantités d’eau. La mine pompe toute l’eau des nappes phréatiques. Résultat, les paysans qui auparavant avaient de l’eau à 5 mètres sont obligés de creuser beaucoup plus profond. De plus, l’eau des puits, habituellement consommée par la population, est devenue non potable. Les gens du village tombent malade et le médecin recommande de ne plus la boire. Quant aux emplois, ils ne sont pas à la hauteur. Quelques postes de gardiennage, tout au plus. Les habitants ont le sentiment d’être comme des mendiants, assis sur un tas de diamant.

Les deux villages de Lompoul et de Diogo, qui jusqu’alors n’avaient jamais connu l’émigration irrégulière, voient leurs jeunes risquer leur vie en pirogue. L’émergence, tant vantée par les élites politico-économiques, a un goût amer, pour ces familles dont les enfants partent en mer.

En Gambie, c’est encore pire. Le capitalisme prédateur n’a aucune retenue. Sur les sites de Gunjung, Sanyang, Kantong, les paysages sont dévastés. Les populations d’Abene et de Kabadio devraient aller voir de l’autre côté de la frontière pour se rendre compte de ce qui les attend, car Sanyang est exploité par G-Sand, la même compagnie qui s’apprête à s’installer sur leurs terres. En Gambie, les populations ont compris. Elles n’acceptent plus les ravages que les foreuses et les pelleteuses ont déjà provoqués près de chez elles. En juin 2018, elles se sont révoltées. Dans le village de Faraba Banta, elles ont essayé de faire barrage aux ouvriers de la compagnie Jalakay qui venaient démarrer les travaux. Elles ont sorti le kankourang, un masque traditionnel fait de fibres et d’écorces d’arbre, tenant un coupe-coupe dans chaque main. La répression policière à fait deux morts parmi des défenseurs de l’environnement et des dizaines de blessés.

Un avenir en question

Depuis son exil en France, Mamadou Nkrumah Sané continue de lancer des menaces : « Nous ne permettrons pas un seul coup de pioche, nous ne laisserons aucun engin intact », lance-t-il. Selon lui, l’accord de désarmement de mai 2023 avec la faction de Diakaye n’est qu’un leurre, la plus part des combattants seraient partis dans la forêt avec leurs armes lourdes. En même temps, il déclare que s’il ne se passe rien à Abene, c’est qu’il n’y a plus de MFDC. L’affaire du zircon pourrait servir de révélateur.

Cette histoire de corruption sur fond d’exploitation minière illustre également la façon dont les élites politico-économiques ont gouverné le pays jusqu’à maintenant, alors que le système de gouvernance qui a favorisé ces dérives vit peut-être ses derniers jours. Le PASTEF, le parti d’Ousmane Sonko et du candidat à l’élection présidentielle, Bassirou Diomaye Faye, entend mettre de l’ordre dans l’exploitation des richesses du sous-sol sénégalais, et freiner la voracité des compagnies minières. Abdou Niantho Sané, coordonnateur du PASTEF à Ziguinchor, ne veut pas prendre position sur le projet G-Sand en particulier, mais décline le programme de son parti en matière de contrats miniers. Pour lui, c’est une réponse structurelle que le futur gouvernement doit mettre en place, pour en finir avec la corruption et l’opacité, qui faussent  les négociations entre opérateurs économiques et responsables administratifs. Le PASTEF se présente comme souverainiste sur le plan économique. Il ne prétend pas nationaliser les actifs des entreprises présentes sur le territoire sénégalais, mais favoriser le capitalisme national, et mettre plus de transparence dans la gestion des affaires. Il entend également renégocier tous les contrats en cours. C’est ainsi qu’Abdou Niantho Sané, pronostiquant une victoire à la présidentielle, affirme sereinement que « G-Sand n’aura pas le temps d’exploiter le site d’Abene et Kabadio ».

Pour les populations concernées, l’enjeu est de taille, car derrière l’exploitation du zircon se profile un vaste projet immobilier qui risque de transformer la bande côtière en une station balnéaire dans le style de Cap Skiring ou Saly, avec hôtels de luxe, piscines et terrains de golf. Plus rien à voir avec cet environnement préservé, cet équilibre entre un habitat dispersé et la végétation côtière, caractéristiques de cette région de Casamance. C’est ce que révèle le journaliste Ken Fernandez dans un article de Jeune Afrique (4). Selon lui, l’exploitation minière ne serait qu’un préalable à la création de ce complexe touristique. C’est ce que lui a confirmé le délégué régional du pôle sud de la SAPCO, la société d’aménagement touristique en charge du projet. Ainsi, les terres retournées et défoncées, devenues impropres à la production agricole et à un tourisme rural, respectueux de la nature, n’auront plus d’autre destinée que le bétonnage et l’artificialisation. Voilà l’avenir que dessine le capitalisme transnational, sous couvert de développement économique, avec la complicité des élites nationales et des notables locaux corrompus, au mépris des populations et de leurs formes de vie. A moins que d’autres forces, qu’il faut espérer pacifiques, mettent un terme à ce carnage.

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  1. Lire : https://snjcgt.fr/2022/02/25/la-presse-senegalaise-en-quete-dindependance/#:~:text=Le%20S%C3%A9n%C3%A9gal%20est%20au%2049e,de%20la%20presse%20en%20ligne.
  2. Lire : https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/politique-africaine/casamance-la-paix-menacee-par-une-mine-de-zircon_3059177.html
  3. idem
  4. Lire :https://www.jeuneafrique.com/1478075/societe/en-casamance-le-village-de-kafountine-menace-par-un-projet-de-station-balneaire/

3 réponses à « Dans l’œil du zircon »

  1. Avatar de Babsing king pata
    Babsing king pata

    Merci beaucoup, car Abéné est remplie de vieux et de jeunes corrompus

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  2. C’est n’est pas tous les jeunes qui ont d’accord pour l’exploitation du zircon ni aussi la populations ci une seule personne prendre la parole il dit que c’est tous le mondes qui d’accord alors que c’est totalement faux.d’après les informations .. c’est qu’elle que personne coronpu de l’argent accepté pour l’exploitation du zircon… celons moi le chef du village devrais appeler ça populations tous le mondes ni enfants ni jeunes ni femmes ni père ni les vieux au tour d’une table pour discuter et ci le fau des votes ce qui sont pour et ce qui sont pas pour..moi c’est ça que j’ai vue comme solution…. merci pour le commentaire

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    1. Avatar de francoisbadaire
      francoisbadaire

      Merci. Cela s’appelle la démocratie. Au niveau local, comme au niveau national, elle est nécessaire.

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